Archives mensuelles : février 2020

Je suis Wuhan

jesuiswuhan

Au travers des strates de l’actualité récentes, il est possible d’interpréter tous les défis qui nous soient posés actuellement comme les dérivés d’une cause unique, notre éducation.

En France il est beaucoup question de « haine » par exemple. Il s’entend à la fois l’intention du législateur de limiter l’expression de celle-ci, et se répand l’idée qu’il s’agisse d’une solution miracle pour pacifier la société. Cela démontre la bêtise profonde de beaucoup ; pourquoi abolir les sentiments pendant qu’on y est ? Et comment d’ailleurs voir dans ces gesticulations une stratégie de communication sensée rallier à un pouvoir incompétent, toutes les personnes conditionnées par une éducation « à l’amour » religieuse ou qui en soit l’héritière ?
Mais l’amour ou la haine, miroirs d’une même illusion, ne sont que des expressions passionnelles. Par définition pas plus l’une que l’autre n’a moindre chance d’inciter qui que ce soit à garder la tête froide et raisonner en personne adulte. Raisonner en personne adulte c’est plutôt reconnaître qu’en-deça des bons et grands sentiments la simple notion de respect de l’autre ne soit pas au cœur de nos constructions sociales.

Cette idée de respect est aujourd’hui constamment et gravement dévoyée. Elle est reprise en permanence par des défenseurs et promoteurs de la « libre entreprise » et de la « concurrence libre et non faussée » et qui poursuive la mise en œuvre de leur agenda totalitaire. Un agenda dont la seule priorité est la domination ; domination économique d’abord, mais aussi technique, sociale, ethnique et culturelle. Ces gens là ne respectent pas les autres, parce qu’ils sont convaincus d’être meilleurs qu’eux. Cette conviction même, parce qu’elle est la plupart du temps intériorisée, n’est pas toujours tout à fait claire pour celles et ceux qui s’en inspirent. Qui raisonne tout simplement n’a pas difficulté à comprendre les extrémités où cela conduise. Ignorer par exemple qu’être propriétaire foncier implique priver toute autre personne ou groupe de la jouissance d’une part de la nature, d’un lieu de la planète. Ignorer aussi que revendiquer un quelconque privilège aille de fait à l’encontre d’une conception réellement égalitaire du rapport à autrui. Nous vivons dans une société qui ne comprend pas vraiment pourquoi elle ne puisse en aucun cas être libre et égalitaire, et encore moins fraternelle.

Cela s’explique par la généralisation d’un modèle social fondé sur la mesure comparée de la valeur des individus. Nous sommes toutes et tous éduqués, et pour ainsi dire conditionnés, à acquérir la conviction que le système des valeurs sociales dont nous héritons, du fait même qu’il aille à l’encontre de nos aspirations animales profondes, puisse être bénéfique à notre espèce. Nous sommes éduqués à rivaliser des uns aux autres et à nous placer, à tous les niveaux de nos relations humaines, en concurrence les uns vis à vis des autres. Nous prêtons trop peu d’attention à cela comme aux conséquences que cela entraîne dans notre organisation collective. Les enfants à l’école sont réprimandés lorsque par réflexe naturel ils cherchent à coopérer : on ne copie pas, on ne souffle pas, et chacune et chacun se trouve enfermé dans son individualité pour obtenir à l’arrivée un adulte convaincu qu’il n’y ait rien à attendre des autres, que si l’on est récompensé c’est de ses propres mérites et que compter sur les autres et la collectivité serait quelque chose de honteux.

Un des paradoxes de ce phénomène, reste que les élites que produise l’école, à savoir des personnes définitivement imbues d’elles mêmes et de leur seul mérite individuel, doivent quand même cette promotion à un système de sélection et de promotion en lui-même par essence collectif. L’autre particularité significative de cette production d’être humains, c’est qu’elle assortisse à cette fierté mal placée des premier de la classe, un mépris clair et définitif de l’altérité, et qui ait pour résultat un insatiable besoin de reconnaissance et une rupture affective souvent irrémédiable. Comment en effet s’épanouir dans une relation humaine mutuelle en portant en soi l’acquis vicié d’une conviction d’être meilleur que n’importe qui ? Cette machine de reproduction très bien décrite par Ken Robinson, immobilise la société contemporaine dans un modèle de fonctionnement adapté à la société industrielle de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, en l’empêchant littéralement de coïncider avec les besoins du monde contemporain. Elle produit surtout des êtres humains qui, faute de pouvoir satisfaire leur désirs profonds, qui seraient par exemple d’être aimés, les réduisent au pouvoir et à l’influence sur autrui. La reconnaissance sociale dans cet ordre de valeurs de compétition devient alors une affaire en elle-même passionnelle.

Humainement parlant il s’agit d’une inversion, autrement dit d’une culture la tête en bas qui, pour consacrer l’humanité, choisisse de ne le faire qu’à l’égard des celles et ceux en ayant complètement perdu le fil et non pas vis à vis de n’importe qui. Pour y parvenir, suivant le même procédé que l’ait fait certaines religions, chacune et chacun se trouve encouragé à n’accorder de valeur qu’à certains aspects spirituels et intellectuels de l’existence et notamment à l’idée que ces aspects purement abstraits et interprétés de l’histoire collective constituent une chose qu’on appellerait « le progrès ». Ce qui brouille les cartes à cet égard de nos jours, il faut le noter, c’est que l’essor de la société industrielle et technique en lui-même occulte d’une certaine manière, le caractère déterminant de cette vision purement intellectuelle du progrès. Or, c’est bien l’absurdité crue dont relève la croyance en la possibilité de séparer l’esprit du corps qui explique que notre société soit devenue à ce point méprisante de l’être humain, méprisant des corps vivant habitant le présent de la planète. Le corps n’y est comme le dit Ken Robinson, qu’un moyen de déplacer les cerveaux. C’est même au-delà un simple contenant, cerveau compris. Et dans ce sens même si elle prétend s’émanciper du religieux l’organisation sociale contemporaine reste entière soumise à une croyance obscurantiste.

Cette croyance exclusive dans les progrès de l’esprit humain explique toutes le négligences dont fasse preuve l’humanité contemporaine. C’est ce qui par exemple conduise les nations comme les personnes les plus riches à regarder de loin les Chinois se dépêtrer qu’une crise sanitaire sans précédent, en ne pensant qu’à leur leur propre destin, comme si les êtres dont on parlait ne seraient que des chiffres, des statistiques. Car sur le fond, les collectivités et parmi elles les nations sont elles aussi les héritières de cette idéologie aussi négligente des corps qu’elle est imbue de son esprit.
En regard de quoi immédiatement nous pouvons comprendre que même la question de survie ou de disparition de l’espèce humaine soit relative, secondaire, puisqu’elle nous place actuellement devant le dilemme du « à quoi bon » ? À quoi bon sauver une espèce devenue incapable d’apporter le soin nécessaire à ses congénères, toute confite qu’elle soit dans la conviction sur-estimative de sa valeur ?

Il ne s’agit ici ni d’espoir ni de désespoir mais plus simplement d’esquisser que d’autre voies aient été possibles et que nous aurions pu prendre. Celle par exemple de sociétés fondées sur le respect des corps, le souci de l’autre, l’entraide et la coopération. La géopolitique contemporaine semble au contraire nous suggérer la division planétaire entre ce qui se puisse appeler un « pouvoir blanc » et une grande masse humaine qui s’y trouve assujettie. Il est certes malheureux de constater que le masque ce pouvoir tombe face à la situation, au vu de son incapacité manifeste à réagir. Qui aide aujourd’hui la Chine dans ses difficultés ? pas grand monde. Et surtout pas le moins du monde à la mesure de ce qui soit entrain de s’y produire.